DONAT HUBLER,
DE COURTAVON EN ALGÉRIE
1855
Par Jean MARTIN
Bref historique
Avant la révolution française le territoire de l'Algérie est alors sous la suzeraineté théorique du sultan d'Istanbul depuis trois siècles sous le nom de « Régence d'Alger». Dans les faits, l'intérieur du pays est livré à l'abandon, insoumis et réticent à l'islamisation. Les côtes de la Méditerranée sont surnommées « les côtes des pirates barbaresques ». Ceux-ci ont une réputation exécrable dans tout le bassin occidental à cause des raids sur les navires de voyageurs et de marchandises, et des enlèvements de personnes réduites à l’esclavage. Le territoire compte environ trois millions d'habitants (contre 36 millions pour la France à la même époque).
Les premières conquêtes de Napoléon Bonaparte, dès 1798 rompent plus d’un siècle de relations pacifiques entre la France et les turcs d’Istanbul et d’Alger. En 1799, afin de nourrir les soldats de l’expédition d’Egypte, la France achète du blé à l’Algérie et négocie un paiement différé et sans intérêts.
En 1827 le dey d’Alger réclame encore le paiement des fournitures de blé à la France qui faisait trainer cette affaire. Dans une entrevue, le consul français Pierre Deval, réputé pour son caractère difficile et arrogant, est frappé d’un coup d’éventail, par le dey.
Charles X saisit alors l'occasion et envoie un corps expéditionnaire, composé de plus de 37.000 hommes sur les côtes algériennes. Cette opération militaire, avec l’accord de plusieurs pays d’Europe, doit lui permettre de détourner l'attention de l'opinion publique face aux difficultés intérieures, ainsi que de se débarrasser des pirates barbaresques qui infestaient la mer Méditerrané et dont un des repaires était justement le port d'Alger.
Le 5 juillet 1830, les troupes françaises s’emparent d’Alger, saccagent la ville, puis occupent les ports, poussent dans l’intérieur du pays, organisent des troupes africaines (zouaves, chasseurs, spahis). Constantine est prise en 1837, les colons commencent à débarquer. Abd el Kader continue de prêcher la guerre sainte et envahit la Mitidja près d’Alger en 1839, massacrant les colons français qui commençaient à cultiver les terres.
On confie l’Algérie au général Bugeaud, vieux soldat de l’Empire, qui y pratique la guerre totale. En 1847 Abd el Kader se rend, la conquête est achevée. On compte alors plus de 100.000 colons européens dont la moitié de Français. Napoléon III favorise la colonisation et encourage les colons par des concessions de terres.
Les parents HUBLER
Xavier Hubler nait le 27 février 1758 à Courtavon fils de Conrad Hubler meunier et d’Ursule Schneider. Il est l’aîné des garçons d’une fratrie de huit enfants. Il exerça donc le même métier que ses aïeux depuis quatre ou cinq générations.
Le 16 juin 1783, il épouse à Courtavon, Marie Anne Schwartz née le 24 février 1762 à Oberlarg. Elle est la fille d’Antoine Schwartz et Marie Anne Walch qui sont eux aussi, meuniers à Oberlarg, deux villages plus au fond de la vallée de la Largue. Le couple a onze enfants entre 1784 et 1804.
Durant la révolution le moulin à farine, plus que centenaire, du comte de Vignacourt, berceau des meuniers Hubler, situé dans le haut du village, est vendu comme bien national, et tout naturellement c’est Xavier Hubler qui l’achète et y développe en plus une scierie et un moulin à chanvre. Il est également maire de la commune jusqu’en 1801.
Donat HUBLER
François Xavier Donat est né le 18 février 1802 à Courtavon. Il est le benjamin d’une fratrie de onze enfants, le dernier étant décédé en bas âge. Dix-huit ans d’écart le séparent de son frère aîné qui a repris la partie culture des terres familiales. Les deux suivants ont repris les moulins, un autre est teinturier. Donat quant à lui travaille également à la ferme.
Il se marie le 12 septembre 1831 à Courtavon avec Catherine Wolf de Rougegoutte de qui il a quatre enfants, avant qu’elle ne décède à 36 ans le 6 avril 1843. L’année suivante il convole en secondes noces avec Elisabeth Knopff née le 12 décembre 1823 à Eschentzwiller, fille de François Mathieu Knopff chevalier de la Légion d’honneur (suite à neuf ans, neuf mois de service d’activité et neuf campagnes de guerre de 1806 à 1814 au 24° régiment de dragons, sous Napoléon 1er), vigneron, propriétaire, et de Victorine Buchlin. Elle lui donne rapidement encore deux enfants.
La ferme nourrit déjà une famille avec huit enfants, sur les deux moulins (un second a été construit entre temps) vivent deux familles avec onze enfants, le teinturier avec ses dix enfants doit certainement aussi être tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. Donat, le cadet travaille à la ferme et doit aussi subvenir à ses cinq enfants, les temps sont durs, il va même jusqu’à tenir une auberge, en plus de la culture dès 1846. Le 19 mai 1854, à Altkirch où il est maintenant aubergiste, son épouse accouche encore un garçon prénommé Yves Gilbert.
Les préparatifs
Cela fait dix ans que la conquête de l’Algérie est achevée et de nombreuses familles s’y rendent, encouragées par l’Etat. Dans le village voisin de Pfetterhouse, une vingtaine de personnes partent en 1854-1855. A Courtavon il y a même un nommé Jean Baptiste Wattré de quatre ans son cadet et que Donat connait bien, qui est parti en 1854 et qui est revenu au village, après que son petit dernier âgé de deux ans soit décédé à Oran. Ils doivent en parler ensemble. Jean Baptiste est même prêt à y retourner et faire le voyage en sa compagnie.
En 1855 Donat va se décider. Il a cinquante-trois ans, mais son épouse, n’en a que trente-deux. Le 28 juillet de cette même année il écrit au préfet, et dit qu’il « est intentionné » de se rendre en Afrique, demande à se faire accorder le passage gratuit sur un bâtiment de l’Etat. Il sollicite les passeports gratuits avec les secours de route pour lui et les siens. Hormis les parents, le document cite quatre enfants : Charles Dominique vingt-trois ans, Eugène Basile dix ans, Jules Frédéric neuf ans et Yves Gilbert un an. Nous n’avons pas trouvé trace du voyage de son deuxième garçon Théodore Alphonse de vingt-et-un ans, ni de sa fille Amélie Christine de dix-neuf ans, qui ne figurent pas dans cette énumération, mais qui ont eux aussi rejoint l’Algérie, comme nous le verrons plus loin.
Donat est identifié comme tanneur. Sa taille est de 1 m 56. Il a les cheveux châtains mêlés de gris, les sourcils châtains, le front large, les yeux bruns le nez ordinaire, la bouche moyenne, la barbe brune, le menton et le visage ronds, le teint frais marqué légèrement de la petite vérole.
Son passeport à destination d’Alger est établi à Colmar le 4 août 1855. Il est transmis à la mairie de Courtavon quelques jours plus tard par le sous-préfet d’Altkirch, en même temps que celui de Jean Baptiste Wattré.
Il est probable que c’est en ce mois d’août 1855 qu’ils ont quitté pour toujours leur terre natale.
Un concitoyen parti en même temps
Wattré Baptiste Ambroise, dit Jean Baptiste est né le 4 avril 1806 à Courtavon, fils de Joseph Wattré et Agathe Schull. Cette famille de cultivateurs originaires du lieu eut onze enfants dont quatre décédèrent en bas âge. Jean Baptiste est l’aîné des garçons.
Il se marie le 21 août 1843 à Courtavon avec Marie Catherine Périat née le 3 novembre 1815, fille aînée de Joseph Antoine Périat et Marie Catherine Wattré cultivateurs à Courtavon. Entre 1844 à 1852 le couple eut quatre enfants.
En janvier 1854 Jean Baptiste écrit au ministre de la guerre (c’était la procédure) pour lui « exposer respectueusement que, désirant se procurer de l’occupation et un meilleur avenir, tant pour lui que pour sa famille, son intention serait de se rendre en Algérie avec sa femme et ses quatre enfants (10, 7, 5, et 2 ans) ….. où il espère trouver plus de ressources qu’en France »
Après obtention de son passeport gratuit d’indigent, des secours de route, ils embarquent pour l’Algérie à destination d’Oran dès le 22 février 1854.
Le 1er mai 1854, quelques semaines après leur arrivée, leur plus jeune fils Eugène Jean Pierre décède à l’hôpital civil d’Oran.
Sur ces entrefaits douloureux, toute la famille revient à Courtavon. Mais les conditions de vie dans leur village natal sont telles que l’année suivante Jean Baptiste sollicite à nouveau une autorisation de passage gratuite avec secours de route. Le sous-préfet d’Altkirch propose au préfet du Haut-Rhin de la lui accorder puisqu’il a un travail assuré chez un propriétaire. Il va probablement retourner là où il avait déjà séjourné l’année précédente.
Son passeport pour Oran, lui est accordé le 4 août 1855 en même temps que celui de Donat Hubler son concitoyen de Courtavon.
Et il repart pour une nouvelle traversée mais cette fois sans femme, ni enfants, car son épouse est enceinte et elle accouche trois mois plus tard, le 21 novembre 1855 à Courtavon d’une fille Marie Catherine déclarée à la mairie par la sage femme, le père y étant dit « absent ».
Vingt-sept années plus tard, soit le 25 octobre 1882, Jean Baptiste Wattré époux de Marie Catherine Périat, décède à Courtavon. Il était donc, entretemps, revenu à Courtavon.
Ils ont traversé la Méditerranée
Très rapidement, comme pour son camarade Jean Baptiste Wattré lors de son premier séjour, la famille de notre émigrant est frappée par le malheur. Le 14 octobre 1855, se rendent à la mairie de Bou Tlilis dans l’oranais, Donat Hubler le père âgé de cinquante-trois ans et son fils Dominique Hubler vingt-trois ans, pour y déclarer le décès de Yves Gilbert Hubler, âgé de seize mois, le dernier des enfants de la famille.
Et l’année suivante, la veille de Noël 1856, survient une lueur d’espoir, un heureux évènement. Le 21 décembre, nait à l’hôpital Cinit Sami Lazare d’Oran une petite fille, Marie Elisabeth Hubler, de Donat Hubler cultivateur et de Marie Elisabeth Knopff ménagère, domiciliés à Oran.
Mais là encore le destin ne les épargne guère. Le 14 juillet 1858, Donat Hubler, fermier, alors domicilié à la ferme Monier, se rend à la mairie de Misserghin pour y déclarer le décès de sa fille Marie Elisabeth âgée de dix-neuf mois.
Néanmoins le 2 octobre 1861, nait à l’hôpital civil d’Oran un petit Xavier Hubler prénommé comme son grand père de Courtavon, dernier fils du couple, maintenant domicilié Karguentoh faubourg à Oran.
Sept années plus tard à Oran, toute la famille est invitée à la noce. Le second fils Théodore né trente-quatre années plus tôt à Courtavon, prend pour épouse Anne Mora, lingère, une landaise d’origine rencontrée en Algérie.
Ils optent pour la nationalité française
En 1871, la France abandonne l’Alsace et une partie de la Lorraine qui deviennent allemandes. Les gens sont appelés à se prononcer s’ils veulent rester sur leur sol natal en devenant donc Allemands, ou bien s’ils veulent opter pour la nationalité française et quitter la terre qui les a vu naître. Cette question est posée à toutes les personnes des régions concernées. C’est ainsi que l’on trouve, en 1872, à Oran, sur les listes d’optants pour la nationalité française les cinq enfants de la famille Hubler nés à Courtavon. On peut supposer que les parents Donat et Elisabeth, vu leur âge et leur situation, n’ont pas trouvé utile d’y souscrire et ont voulu conserver cette idée « d’alsaciens français » de leurs racines, même s’ils ont décidé de finir leurs jours en Algérie.
La famille a ses repères, cela fait déjà seize ans qu’ils ont quitté Courtavon et son patois. Il est probable qu’ils se soient familiarisés avec la langue arabe. Donat a maintenant soixante-neuf ans, Elisabeth en a quarante-huit ans. Le petit dernier, Xavier a dix ans, il va à l’école à Oran ; Jules, vingt-cinq ans est douanier ; Eugène vingt-six ans travaille dans une brasserie ; Amélie trente-cinq ans est sans profession ; Théodore, trente-sept ans est garçon de magasin ; Dominique l’aîné, quarante ans, est chef cantonnier.
La vie continue
Le 13 décembre 1872 à Oran, Donat devient grand-père à soixante-dix ans, d’une petite Jeanne Lucie Hubler, fille de son second garçon Théodore et de Anne Mora. Deux années plus tard, le 10 octobre 1874 il a le malheur de perdre un fils, Jules Frédéric, douanier, né vingt-sept ans plus tôt à Courtavon. C’est le quatrième de ses enfants qu’il perd loin de sa terre natale.
La même année son fils Théodore est père d’une deuxième fille, Eugénie, née le 15 décembre 1874 à Oran. Deux années après, le 9 septembre 1876, il assiste à Oran au mariage de sa fille Amélie Christine, née quarante ans auparavant à Courtavon avec Jean Soulet, un tarnais émigré lui aussi.
L’année suivante c’est son cinquième enfant Eugène Basile qui prend pour épouse le 27 janvier 1877, à Oran, Sophie Pfister une allemande du grand duché de Bade née à Ufhausen.
La fin de Donat
Le 13 octobre 1877, à sept heures du soir, en son domicile rue de Dresde à Oran François Xavier Donat Hubler s’éteint. Comme sur son passeport de 1855, il est tanneur de profession. Il est âgé de soixante-quinze ans. Son décès est déclaré le lendemain matin à la mairie par son fils Charles Dominique Hubler, chef cantonnier et par son gendre Jean Soulet.
Quelques mois après le décès du père, c’est le fils aîné de la fratrie, Charles Dominique chef cantonnier, célibataire, alors âgé de quarante six ans, qui décède à l’hôpital civil d’Oran le 25 mai 1878.
Son frère cadet Théodore déclare à L’Hillil la naissance d’une troisième fille Louise Sophie le 20 août 1878, puis d’une quatrième Hélène Rose le 18 août 1881.
Quinze années s’écoulent encore avant que ne décèdent à Oran Eugène Basile Hubler brasseur, fils de Donat, le 23 janvier 1894 et huit jours après, Amélie Christine Hubler fille de Donat, le 31 janvier 1894.
Deux années plus tard, le 21 janvier 1896, la maman Elisabeth Knopff meurt à l’hôpital civil d’Oran, âgée de soixante-douze ans. Sur les huit enfants Hubler concernés par l’Algérie, elle en a vu disparaitre six, il n’en reste donc plus que deux en vie.
Le fils Théodore Hubler
Théodore Hubler, dont nous n’avons pas trouvé trace du départ de Courtavon, est le dernier Hubler connu en Algérie. Il y aurait bien, éventuellement encore son plus jeune demi-frère Xavier, de 27 ans son cadet, mais nous ne savons pas ce qu’il est en est adevenu.
Théodore a exercé plusieurs métiers pour nourrir sa petite famille. Il était garçon de magasin à Oran en 1868, cantonnier à Oran en 1872-1874, poseur aux chemins de fer à l’Hillil à quelques quatre vingt kilomètres à l’Est d’Oran en 1878-1881, puis employé à Oran en 1894.
Il obtient même en 1881 la concession d’un bout de terrain à L’Hillil. Le 28 mars 1897, il décède en son domicile d’Oran, âgé de soixante-trois ans. L’acte précise qu’il était alors agent de police. C’est le dernier des dix Hubler à être inhumé dans la région d’Oran. Il ne reste plus que ses quatre filles à porter le patronyme en Algérie et trois d’entre elles s’y marieront.
Conclusion
Ainsi toute une branche de Hubler, partis de Courtavon un beau matin d’août 1855, dans l’espoir de trouver un avenir meilleur, ont fini leurs jours de l’autre côté de la Méditerranée. Le père, la mère, et leur descendance nombreuse de neuf enfants, sans postérité masculine, laisseront s’éteindre le patronyme sur le sol Oranais et leurs restes reposent dans cette terre, loin de leur Sundgau natal, appelée aujourd’hui « République Algérienne démocratique et populaire ».
Sources
- Registres paroissiaux de Courtavon
- Etat civil de Courtavon
- Archives Départementales du Haut-Rhin à Colmar
- Centre des Archives d’Outre Mer – Instruments de Recherches En Ligne.
- Encyclopédie Larousse méthodique - Paul Augé (Ed. Larousse 1955)
- Les Moulins du Sundgau Volume 2 - Pierre Gutknecht (Ed. SHS 1999) vol 2 p. 40
- http://www.worldmapfinder.com/Map_Earth.php?ID=/Fr/Africa/Algeria/Oran